COIN HISTOIRE

 

ALBOURY NDIAYE ROI DU DJOLOF

 

Qui parle d’histoire pense à remonter le temps, et il nous plait de rappeler dans cet espace qui était le père de Sidy Alboury Ndiaye. Nous prenons l’exemple du Professeur Mbaye GUEYE dans « INTRODUCTION A LA BATAILLE DE GUILE DE AMADOU DUGAUY CLEDOR »

 

 

 

Le 06 juin 1886 Alboury Ndiaye, roi du Jolof infligeait une sanglante défaite à l’armée du Kajoor commandée par Damel Samba Laobé Fall. Depuis lors, cette mémorable bataille diversement commentée, a pris des proportions variables dans la bouche des détenteurs de la tradition orale des deux camps. Les griots du Kajoor, trop contents de minimiser la portée réelle de la victoire d’Alboury, essayent de lui donner les dimensions d’une escarmouche. Ils s’ingénient à véhiculer des versions qui éludent les questions fondamentales. On les comprend. Ils ne peuvent garder dans les tiroirs de leur corpus des faits qui, de toute évidence, étalent au grand jour une honteuse conduite. De leur côté, les traditionnistes du Jolof n’ont guère hésité à franchir les frontières du panégyrique. Alboury est sans conteste, l’incarnation même de toutes les vertus militaires. Dans un cas comme dans l’autre les calomnies et les médisances sont monnaie courante et ne manquent pas d’oreilles complaisantes.

C’est pour éviter ces outrances de la polémique que Amadou Dugauy Clédor s’est attaché à écrire l’histoire de la bataille de Guilé. Il a rassemblé les traditions relatives à ce combat et tenté d’atteindre une représentation moins partiale du phénomène. Mais nous savons que les traditions orales comme les documents écrits sont généralement grevés d’hypothèques. Elles ne véhiculent que des réalités tronquées pour les besoins de la cause. Il est donc illusoire d’attendre d’elles une rigueur qu’elles ne comportent pas. Il faut donc les utiliser comme de simples documents de laboratoire, les confronter avec d’autres sources pour réduire notre champ d’incertitude.

 

Ce travail suppose la possibilité pour l’historien de combler avant tout les vides d’une documentation nécessairement lacunaire et partisane afin de lui permettre de faire la part de la réalité et de l’invention.

Amadou Duguay Clédor s’est heurté dans la réalisation d’une telle entreprise, à d’insurmontables difficultés. La clause du cinquantenaire lui avait interdit l’accès des archives. En dépit de l’admirable virtuosité dont il a fait preuve, il n’a en définitive présenté qu’une modeste moisson. Comment attendre de son texte qui a emprunté l’essentiel de sa documentation aux traditions orales du Jolof, qu’il nous apporte le reflet exact de l’histoire ?

 

Pour notre part, nous ne nous sentons pas mieux équipé que Amadou Duguay Clédor. Nous sommes convaincus que nous n’irons pas plus avant que lui dans le déchiffrement des énigmes de la bataille de Guilé. Mais notre entreprise ne sera ni illusoire ni vaine si l’on n’attend pas d’elle des réponses ayant un caractère absolu. Ce que nous voulons faire ici, c’est de situer les choses dans leur véritable contexte colonial afin de fournir des informations complémentaires au document de Amadou Duguay Clédor.

 

En décembre 1882, Lat Dior Ngoné Latyr s’opposa avec vigueur aux travaux de construction de la voie ferrée. Le Colonel Weudling fut alors chargé par le gouverneur de le chasser de son trône. A l’approche de la colonne française Lat Dior prit la route du rip. Weudling profita de cette vacance du pouvoir pour nommer Damel Samba Yaya Fall sous le nom d’Amari Ngoné Fall - II.

Du rip, Lat Dior se rendit au Jolof où Alboury Ndiaye lui, accorda l’asile politique. Ce pays devint rapidement le point de départ des expéditions punitives que Lat Dior conduisait sans cesse contre le Kajoor afin d’y rendre impossible la domination française. Au mois d’avril 1883, Samba Laobé, neveu de Lat Dior et candidat à la royauté, reçut de son oncle l’ordre de pénétrer dans le Kajoor. Sa mission étant de fatiguer par des marches et des contre - marches les colonnes françaises dépêchées contre lui, en attendant de pouvoir les détruire à la faveur de l’hivernage. Cette mauvaise saison pour les Européens était l’époque prévue pour la jonction des troupes de Lat Dior et d’Alboury avec celle de Samba Laobé.

 

De Janvier à mai, Alboury ne cessa jamais d’apporter à Samba Laobé tout le soutien logistique dont il avait besoin pour conduire avec efficacité la lourde mission qu’on lui avait confiée. En avril 1883, à Keur Bassine près de Louga, Samba Laobé reçut de Alboury des secours en chevaux et en vivres* (*1D44-24 avril 1883). A plusieurs reprises Alboury menaça d’intervenir directement dans les affaires du Kajoor en évoquant les clauses du traité d’alliance qui le liait à Lat Dior. Le gouverneur lui fit comprendre que son entrée au Kajoor serait un casus belli.

Les opérations de pillage menées d’un côté par Lat Dior et Alboury et de l’autre par Samba Laobé inquiétant les autorités de Saint - Louis. L’hivernage était proche. L’insécurité généralisée était génératrice de désordres. Ce désarroi des populations compromettait les cultures. Le gouverneur risquait d’être violemment attaqué par le commerce qui n’hésiterait à lui imputer ses déboires en cas de mauvaises récoltes. Aussi se décida- t- il à négocier avec Samba Laobé qu’il jugeait plus malléable que son oncle. Il fut aidé dans sa tentative par certains dignitaires de la couronne qui ne pouvaient pardonner à Lat Dior de les avoir humiliés en les destituant en 1879.

 

Ainsi, alors que Lat Dior et Alboury s’apprêtaient à conduire le gros de leurs troupes au Kajoor pour en éjecter les Français et leurs collaborateurs, ils furent informés que Samba Laobé était parti faire sa soumission à Saint - Louis à la tête de toute son armée. Cette capitulation mit Lat Dior et Alboury dans un grave état de rage. Ils parlèrent même de haute trahison. Samba Laobé fut autorisé à s’établir au Kajoor comme chef du Mbawor et de l’Andal.

 

Loin de se laisser abattre par l’attitude de résignée de Samba Laobé, Alboury et Lat Dior prononcèrent de nombreuses attaques contre les territoires sous contrôle français. Après leur passage ce n’était partout que le norme spectacle de villages en ruines, de greniers en cendres. Le Walo et le Jambour étaient leurs cibles favorites.

Le Damel Samba Yaya ne s’avisa jamais de leur barrer la route de son royaume. A l’approche de l’armée de guérilla, il préférait faire le vide. Le 04 Juillet 1883, Lat Dior et

Alboury mirent à sac Boudi, centre important dans le canton de Mérinaghen au Walo. Sur la lancée de cette cruelle victoire, ils se dirigèrent contre le Kajoor. Peut - être comptaient encore sinon sur l’alliance, du moins sur la bienveillance neutralité de Samba Laobé. Ils ne tardèrent pas à déchanter. A leur approche, alors que le Damel titulaire préféra s’enfuir, Samba Laobé mobilisa ses fidèles et alla barrer la route à ses alliés naguère. Voulant éviter une atroce guerre civile, Lat Dior et Alboury rebroussèrent chemin.

 

Le gouverneur crut trouver alors en la personne de Samba Laobé le bouclier protecteur dont il rêvait pour le Kajoor. Du fait qu’il était en mesure de brider Lat Dior ou d’empêcher ses déprédations, le gouverneur lui donna la couronne du Kajoor aux dépens de Samba Yaya qui rejoignit au Jolof le camp des gens du refus.

Cette nomination mit Lat Dior dans une situation fort inconfortable. Comment pouvait- il se résoudre à faire la guerre à son neveu sans provoquer du coup de la destruction de sa propre famille ? Il s’accommoda tant bien que mal de ce fait accompli. Une certaine accalmie s’ensuivit.

 

Le gouverneur s’attacha à développer ce succès contre ses ennemis en évitant autant que possible de mécontenter les commerçants. Ils encouragea la dissidence contre Alboury. Il est à peine utile de préciser ici les conditions d’accession au trône de Alboury. Bornons- nous à mentionner qu’en Février 1875, le marabout Ahmadou Cheikhou qui avait conquis le Jolof pour en faire une théocratie a été tué par l’armée de Lat Dior secourue par une colonne française. Lat Dior détacha des contingents de son armée pour soutenir Alboury qui triompha rapidement des autres compétiteurs. Mais en raison des origines kayooriennes de sa mère, le pouvoir de Alboury était considéré comme une simple usurpation par une importante fraction de la population. De 1875 à 1882, Alboury a eu la chance de l’emporter sur ses ennemis qu’il a régulièrement défaits dans de nombreuses rencontres. Les débris de cette opposition avaient donc fini par accepter à contrecœur l’autorité de Alboury.

C’est cette opposition que le gouverneur encouragea dans la voie de la dissidence. En Août 1883 Samba Laobé Penda demi - frère de Alboury, accompagné d’un autre prince Bra Yamb Khouredja et de 200 cavaliers abandonnait le Jolof pour aller s’établir à Dagana. L’hostilité du gouverneur vis à vis du roi du Jolof leur donnait la certitude du succès final de leur entreprise. Ils étaient assurés d’une intervention française pour un changement dynastique en leur faveur au Jolof.

 

Leur présence fut mise à profit par l’autorité de Saint - Louis qui s’attela à mettre sur pied une coalition regroupant Yamar Mbodj chef du canton de Mérinaghen, les autres chefs du Walo et les dissidents du Jolof sous l’autorité de Samba Laobé Penda. La mission confiée à cette force était de chasser Alboury et Lat Dior du Jolof. Mais au dernier moment on retint à l’idée qu’en cas d’échec, l’administration française de Saint - Louis n’aurait pas été capable d’empêcher le pillage et le massacre de la population de la banlieue de Saint - Louis. Pour le gouverneur, il fallait s’engager que si on était assuré du succès de l’entreprise.

 

Le succès serait moins hypothéqué si Samba Laobé Fall, roi du Kajoor acceptait de joindre ses forces à celles du Walo et des dissidents. Le directeur des Affaires Politiques adressa dans ce sens une lettre au commandant du poste de Ndande pour le prier au nom du gouverneur “ de conseiller en sous - main à Samba Laobé de s’unir à Samba Laobé Penda du Jolof pour chasser de ce pays ou enlever Lat Dior et Alboury* (* 1D44-Directeur des affaires politiques au commandement de Ndande, 8 septembre 1883). Toutefois cette proposition d’alliance avec Samba Laobé Penda ne devait pas lui être faite officiellement au nom du gouverneur. Le chef de poste se bornerait à lui en faire la suggestion** (** 1D44, 8 septembre 1883 Directeur des affaires politiques, Chef de poste de Ndande).

Samba Laobé profita de l’occasion qui lui était ainsi offerte pour formuler des exigences. Il demanda la rétrocession au Kajoor du Jambour. Le dépècement du kajoor, poursuivi avec une constante ténacité par les différents gouverneurs français, avait finalement réduit le Kajoor aux dimensions d’une province. Le Gandiole, le Toubé, le Ndialakhar, le Jander et le Sagnokhor avaient été enlevés au Kajoor et transformés en territoires annexés. En Janvier 1883, le Kajoor fut encore amputé du Jambour érigé en royaume confié à Ibrahima Ndiaye. A tout cela s’ajoutait le fait que de nombreux postes militaires éparpillés dans le pays rendaient très vulnérable le damel. Le “ Kajoor indépendant ” était militairement trop faible pour que son souverain puisse entreprendre des opérations de grande envergure. La restitution du Jambour mettrait à la disposition du Damel une zone populaire et riche qui rendrait moins aléatoire une guerre contre le Jolof.

 

Cette entrevue ne donna guère les résultats escomptés. Comment l’administration française pouvait- elle confier le contrôle du Jambour à un homme qui n’avait pas encore donné des preuves irréfutables de loyalisme ? On s’en tint donc là.

 

Mais Alboury n’ignorait rien des intrigues du gouverneur. Il essaya de sortir de son isolement en signant des traités d’alliance avec des ennemis irréductibles de la France. Ses émissaires prirent contact avec Abdoul Bokar Kane du Bosséa et avec Ely Djeumbeut Emir du Trarza. Ce réseau d’alliances était susceptible de compromettre les intérêts français. En cas d’attaque contre Alboury, plusieurs foyers pourraient simultanément s’allumer et contraindre la France à se battre sur plusieurs fronts.

Alboury était conscient de ses propres faiblesses. A l’intérieur de son pays la dissidence gagnait sans cesse du terrain. Les ralliés qui portaient au cœur de la morsure d’une secrète rancune pouvaient à tout moment passer dans l’autre camp. Par une sage prudence, il se résigna à négocier avec la France dans l’espoir de mettre à profit la trêve pour mieux réorganiser ses forces. C’était également un moyen peu coûteux de prévenir les interventions de ses ennemis.

 

Le 18 Avril 1885, à Dakhar, Négnélé, à la frontière du Jolof et du Walo, Alboury rencontra Victor Ballot directeur des Affaires Politiques accompagné de trois notables de Saint - Louis et de quelques chefs de canton du Walo. L’entrevue fut sanctionnée par la signature d’un traité. Selon ce document Alboury plaçait son pays sous protectorat français. Il prit également l’engagement de ne plus mener des opérations de guerre sans l’accord du gouverneur. Mais la clause essentielle pour le sujet qui nous intéresse ici, stipule que Alboury chasserait immédiatement du Jolof tout individu considéré comme un ennemi de la France. En l’occurrence Lat Dior et Amadou Abdoul fils de l’Emir du Bosséa rentreraient chez eux ou iraient chercher ailleurs la conclusion de leur glorieuse aventure. La France en ferait autant des ennemis de Alboury particulièrement nombreux au Kajoor et au Walo. Le respect des dispositions de ce traité aurait été générateur d’une accalmie dans les relations du Jolof avec les autorités françaises de Saint - Louis. Mais à la surprise générale, la France refusa de ratifier le traité.

 

Le gouverneur français considérait comme irrecevable la clause qui prévoyait l’expulsion de Samba Laobé Penda du territoire français. La France avait trop de griefs précis contre Alboury pour se résigner à ne pas lui faire la guerre. Ce musulman fervent n’avait qu’un rêve, celui d’éjecter les Français de son pays limitrophe. L’expulsion de Samba Laobé qui bénéficiait déjà de l’appuis de nombreux grands dignitaires, retardait encore davantage l’échéance du changement dynastique tant désiré au Jolof.

Ce refus de ratifier ce traité soulignait avec force l’hypocrisie, la mauvaise foi de l’administration coloniale qui ne faisait référence aux traités que s’ils lui permettaient de réaliser ses fins. Ce traité du 18 Avril 1855 n’était donc à tout de prendre qu’un moyen dilatoire pour gagner du temps, isoler Alboury en le poussant à rompre ses liens avec ses alliés afin de mieux le détruire.

 

Alboury ne tarda pas à se rendre compte de la duplicité de l’administration française de Saint - Louis. Le prolongement du séjour de Samba Laobé Penda était la preuve manifeste que la France n’entendait pas honorer ses engagements. Alboury en tira toutes les conséquences en reprenant son entière liberté d’action. Lat Dior qu’il avait chassé du Jolof conformément aux dispositions du traité, était invité à revenir s’installer à nouveau au Jolof. Il prit l’initiative, pour sortir de l’isolement dans lequel voulait l’enfermer la France, de soutenir dans toute la Sénégambie les clans maraboutiques en lutte contre les vieilles aristocraties païennes. Il dépêcha des contingents au Siin, au Salum, au Rip pour épauler ceux qui cherchaient à se débarrasser des dirigeants amis de la France.

 

Cette politique, par sa constante ténacité, compromettant gravement les intérêts français. La transposition des problèmes politiques sur le plan religieux risquait d’allumer de nouveaux foyers de guerre sainte. La situation politique de la France d’alors n’autorisait pas des opérations de grande envergure. Le plus petit échec militaire était capable de provoquer une crise gouvernementale. Il fallait donc parvenir à détruire le régime de Alboury sans engager les forces françaises.

Pour Amadou Clédor les causes que l’on invoque dans le déclenchement de la guerre entre le Kajoor et le Jolof font tantôt état du refus de Alboury de payer à son beau-frère Samba Laobé la dote de sa sœur qu’il venait de répudier, tantôt de l’appel lancé par Samba Laobé Penda à son ami le Damel Samba Laobé Fall qui devait l’aider à monter sur le trône de ses aïeux. Amadou Duguay Clédor n’en a retenu aucune. Pour lui la cause fondamentale réside dans le fait que Samba Laobé “ prince envieux et jaloux ” était offusqué par la vaillance éprouvée, la puissance éclatante de Alboury Ndiaye. Cette perception des choses ne nous paraît guère recevable. Malgré sa jeunesse, Samba Laobé n’avait rien à envier à Alboury pour ce qui était des traditions familiales et des hauts faits militaires. De plus le caractère relativement récent des événements, l’impossibilité de consulter les archives y afférentes, empêchèrent Amadou Duguay Clédor d’appuyer son étude sur une documentation solide apte à donner à ses lecteurs un sentiment de sécurité peu contestable. Il se peut aussi que son statut de colonisé l’ait conduit à une prudence calculée en s’interdisant d’incriminer ou de disculper l’autorité française qui a été en toute certitude l’initiatrice de cette opération. Sous le masque d’un loyalisme absolu et total à l’endroit de la France, il profite cependant de l’occasion pour montrer que la pente de sa nature l’entraînait vers Alboury en qui il voyait peut-être le combattant de l’indépendance. C’est pour cela que nous ne pouvons que rejeter avec sympathie son explication.

A la lumière de ce qui a été dit plus haut, personne ne peut plus douter que l’invasion du Jolof par Samba Laobé Fall n’ait été dictée par les préoccupations impérialistes de la France décidée à se débarrasser à moindre frais de Alboury Ndiaye. Samba Laobé Fall était l’instrument de cette liquidation. Pourtant lorsqu’on lui avait conseillé de réunir ses forces à celles des ennemis de Alboury, Samba Laobé avait exigé la rétrocession du Jambour au Kajoor. Si par la suite il a changé d’avis, c’est qu’il a dû recevoir de l’administration de Saint-Louis, des promesses fermes de soutien dans son aventure.

En 1886, le Kajoor était un protectorat français. A ce titre Samba Laobé ne pouvait faire ni la guerre ni la paix sans l’autorisation du gouverneur. Aussi lorsqu’il mobilise ses troupes, marche contre le Jolof en passant par des territoires sous contrôle français sans susciter de protestations françaises, il devient difficile de ne pas parler de concertation entre lui et le gouverneur dans son entreprise en d’autres termes le gouverneur a réussi à mettre à pied le projet de coalition qu’il avait voulu réaliser en 1883 contre Albouri.

 

Deux mois avant la bataille de guilé, le Lieutenant Minet, aide camp du gouverneur ; eut un entretien avec Samba Laobé Fall. Un mutisme complet entoura cet entretien. Rien n’en a filtré. Mais tout autorise à penser que Minet est parvenu à provoquer un changement d’attitude chez Samba Laobé Fall qui subitement prit la résolution d’en découdre avec Albouri.

Pour éviter, nous dit-on l’obstacle que constituait le manque d’eau, Samba Laobé s’abandonna dès le début de sa campagne à une aberration stratégique proche de l’absurde. Il établit un itinéraire qui oblige ses forces à tripler les distances qu’elles devaient parcourir pour arriver au Jolof. Cette absurdité stratégique n’était qu’apparente. Le damel savait que ses troupes n’étaient pas ni nombreuses ni bien entraînées. Il chercha donc ailleurs des compensations. Il dirigea d’abord ses regards vers le Jambour, le roi protégé de la France, ne fait rien pour s’opposer à l’avancée de ses troupes. Celles-ci poursuivirent leur route sans qu’on les inquiétât – çà et là on entendait des gémissements. Il fallait en effet ravitailler cette troupe qui a dû se scinder en plusieurs petits groupes pour razzier avec plus d’efficacité un territoire relativement riche. Le roi du Jambour éleva de violentes protestations. L’arrivée du Lieutenant Minet lui fit fermer les yeux sur ces petits larcins eu regard du résultat escompté.

 

Après le Jambour, l’armée du Kayor mit pied dans le canton de Mérinaghen commandé par Yamar Mbodj. Là comme naguère ce fut le même spectacle. Mais Minet était encore là pour faire rentrer les choses dans l’ordre. Aussi devons nous accueillir avec une confiance mitigée les explications de Amadou Duguay Clédor quand il écrit “ Le Damel reçut avec dédain les conseils du gouverneur. Il alla même jusqu'à briser le tambour de guerre du chef du Walo dont les suivants furent bousculés et frappés ”. Si le gouverneur voulait la paix, la guerre n’aurait jamais eu lieu entre Samba Laobé et Alboury. Il lui aurait suffi de brider le premier en lui intimant l’ordre de rester chez lui. Si le roi du Jambour et le Chef du Walo ont eu des griefs contre Samba Laobé, c’est qu’ils ont été tenus à l’écart des tractations, qu’ils considéraient donc Samba Laobé comme un agresseur, un perturbateur de la paix. Cette vision ils la partageaient par ailleurs avec les grands dignitaires du Kajoor qui eux aussi ignoraient tout des motivations fondamentales qui jeté Samba Laobé sur la route du Jolof. A toutes les étapes de la marche de Samba Laobé, ils firent étalage manifeste de leur mauvaise volonté. La tradition du Kajoor dit que le Fara seuff, c’est - à - dire l’intendant général des troupes avait donné des directives précises aux cavaliers de faire en sorte que ses chevaux puissent rentrer sains et saufs au Kajoor. Des émissaires même auraient été dépêchés auprès de Alboury pour le tranquilliser en lui faisant comprendre que c’était “ du couscous sans viande qu’on lui apportait ”. En d’autres termes ils viendraient mais avec des armes vides.

Tout ceci administre la preuve que Samba Laobé n’a associée personne dans la mise au point de son entreprise. Accordant une confiance sans fissure aux déclarations du gouverneur, il se sentit suffisamment assuré pour se passer des conseils de ses collaborateurs. Le choix de l’itinéraire allant du Jambour au Walo s’explique par l’espoir de recevoir dans le voisinage de Saint-Louis l’aide matérielle que les accords secrets lui avaient probablement promise. C’est cet accord qui lui avait donné le courage de violer sous le piétinement de ses troupes en marche, l’intégrité du Jambour et du Walo, sans peur de représailles françaises.

 

Le 29 Mai 1886, Samba Laobé et Minet eurent à nouveau une entrevue à l’issue de laquelle le Damel se résigna à quitter enfin le territoire français. Les déprédations de son armée provoquaient partout des gémissements. Les guerriers prenaient sans ménagement tout ce qui était à leur portée. Le pays était pour eux une proie facile, l’image même de l’opulence du moment que leurs exactions étaient couvertes par l’autorité française. Les victimes se mirent alors à douter de la capacité de la France de les défendre contre l’armée de Samba Laobé. Ces multiples griefs incitèrent le Damel à quitter le territoire français où sa présence avait donc provoqué le trouble chez les populations. L’exode des paysans à l’approche de l’hivernage compromettait les récoltes prochaines.

Après le départ de Samba Laobé Minet se décida à expliquer à Yamar Mbodj la raison d’être de cette excessive passivité de la France. L e 31  Mai 1886, il envoya à Yamar une lettre dans laquelle il écrivait : “ j’apprends que le Damel est notre allié - Alboury et Lat Dior eux sont nos ennemis. Nous avons donc à favoriser le Damel Samba Laobé. Ne vous méprenez pas sur sa conduite soit pendant mon entrevue avec lui, soit avant cette entrevue... aidons le sans toutefois paraître sortir de la neutralité... Telle est le vraie politique, celle que m’a dictée le gouverneur ”*(* 1D48-Minet à Yamar MBODJ, 31 Mai 1886).

 

Minet était donc le véritable organisateur de l’invasion du Jolof. C’est sous le couvert de son autorité que les territoires du Jambour et du Walo ont été violés par l’armée de Samba Laobé. Ce dernier qui donnait l’impression d’être le maître du jeu n’était qu’une marionnette dont les ficelles étaient tirées par l’administration de Saint-Louis. Cette guerre entre le Kajoor et le Jolof souligne avec force l’hypocrisie de l’administration coloniale qui sous prétexte de “ civiliser les populations ” leur apporte plutôt la mort, la misère. Des parents que tout devait unir sont devenus des ennemis qui se sont voué des haines tenaces.

 

Ces observations atteignent le texte de Amadou Duguay Clédor dans son aspect le plus spectaculaire. Elles sont effet justice de l’idée de l’autonomie de Samba Laobé qui aurait engagé l’épreuve en toute souveraineté. En réalité il n’était que l’instrument de la volonté du gouverneur.

Pour rehausser l’éclat de la victoire de Alboury, Amadou Duguay Clédor se laissa aller à un rééquilibrage des forces en présence. Pour lui la victoire de Alboury serait d’autant plus méritoire que l’ennemi était de force sensiblement égale à celle du Jolof. “ A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire ”. Il fixe l’effectif de l’armée du Jolof à 4 000 guerriers, celui du Kajoor à 3 500. Minet est plus près de la réalité pour ce qui est de l’armée de Samba Laobé. Il l’estimait à 400 cavaliers. La faiblesse de cette cavalerie pour une entreprise aussi importante expliqua peut-être la nervosité du Damel qui détruisit le tambour de guerre de Yamar Mbodj. Il ne pouvait plus faire machine arrière. Le gouverneur ne lui procura pas de colonne de soutien. Pourtant dans les rangs de cette armée, figuraient les dissidents du Jolof sous la conduite de Samba Laobé Penda. Il avait “ vendu pour l’occasion tous ses biens pour acheter de la poudre et des balles ” * (* - 12G262. Madior thioro chef de Nguick au Gouverneur) . Ses partisans ne dépassaient l’effectif de 200 hommes.

 

Dans l’armée de Alboury combattait beaucoup de partisans de Lat Dior qui ne pouvaient plonger l’indépendance de leur vie qu’en prolongeant au besoin par les armes celle du Jolof qui leur avait accordé l’asile politique.

 

Leur clairvoyance intéressée leur conseiller de faire échec à la tentative de Samba Laobé qui n’avait aucune chance de l’emporter. Ses guerriers n’étaient motivés, alors que ceux du Jolof se battaient pour leur patrie, leur liberté, celle de leurs enfants et de leurs familles. Dès lors, il ne faut pas s’étonner de la rapidité avec laquelle Alboury mit en déroute son agresseur.

Pour empêcher l’invasion du Kajoor par Alboury conformément à son droit de poursuite, le Lieutenant le rencontra à Koki où un compromis fut trouvé. Le gouverneur qui par son imprudence avait exposé les populations assujetties à de graves menaces, se dépêcha de sacrifier Samba Laobé sur l’autel de la paix avec Alboury. Le Damel était condamné par son allié à payer à Alboury un tribut de 300 bœufs. Un officier serait désormais détachait dans le Kajoor avec droit absolu de surveillance et de contrôle.

De plus, Samba Laobé verserait au gouverneur 20 000 F d’amande destinés à son vainqueur. En Octobre 1886 il fut mis à mort à Tivaouane par un détachement français. Sa disparition mit fin à cette fiction politique qui donnait au Damel l’illusion qu’il était un souverain indépendant.

La victoire de Guilé donna à Alboury encore quelques année de répit. Sa grande lucidité lui fit percevoir que le Jolof subirait infailliblement un sort identique. Son devoir était de se battre pour en retarder l’échéance le plus longtemps possible. En mai 1890, les colonnes de Dodds le contraignirent à aller chercher auprès de Amadou de Ségou la conclusion d’une glorieuse aventure.  En allant mourir à Dosso, au Niger, il a réussi à accorder sa vie au serment qu’il avait fait de ne jamais vivre sous l’autorité française.

 

Professeur Mbaye GUEYE